Je passe maintenant à quelques autres exemples de l’utilisation du geste. En 2005, j’ai écrit un opéra de chambre „Die Süsse unserer traurigen Kindheit“, sur des poèmes et lettres de l’expressionniste Georg Trakl.
À part de deux sopranos, cinq instruments, électronique en 16 pistes et 4 projections de vidéo, il y a également un danseur.
Dans les années 1990, j’ai beaucoup travaillé avec des danseurs et nous avons également expérimenté avec des capteurs de mouvement. Mais les résultats ne m’ont pas vraiment convaincue. Ce n’est pas parce que je peux techniquement retracer les mouvements des bras et jambes que cela garantit un lien gestuel. Pour moi il y a une différence entre un geste instrumental, qui est fonctionnel et le geste d’un danseur qui est expressif en soit. Les mouvements pour jouer un instrument de musique ne sont pas beaux, mais ils sont liés au fonctionnement de l’instrument. Tandis que le geste d’un danseur trouve son origine au centre du corps et ne suit pas une fonction. De demander à un danseur de produire des gestes pour déclencher des évènements sonores ou pour contrôler des paramètres ne m’a pas satisfait. J’ai donc utilisé un micro sans fil près de sa bouche pour capter sa respiration, qui est naturellement connectée à ses actions. Il ne fallait donc pas une gymnastique mentale pour le danseur, il pouvait s’exprimer comme d’habitude. D’autant plus que le souffle nous donne aussi des informations sur la qualité de préparation d’un mouvement.
Dans cet opéra de chambre, il y a un solo de la danse, ou les chanteuses sont muettes. Tous les sons électroniques sont générés et contrôlés par le souffle du danseur. Je cherche un rapport changeant. Il y a des moments quand le lien est très évident. Mais je ne veux pas rester dans l’évidence – sinon c’est une démonstration technologique. Il y a donc des variations dans la manière comment le microphone influence l’électronique.
Le solo de danse avec Hans Georg Lenhart:
le geste dans mes prises de son
Je vais donner maintenant quelques exemples de gestes dans mes prises de son pour mes œuvres électroacoustiques. Je ne m’intéresse plus à enregistrer un son isolé. Je développe des phrases musicales, que je réalise avec le corps sonore en question. Ça commence par une exploration des possibilités, mais très vite je développe des phrases que j’essaye à réaliser le mieux possible.
Un pianiste qui joue une composition écrite développe une image mentale de la phrase et en jouant compare celle-ci avec ce qu’il est en train de jouer. Il essaye par des répétitions d’approcher son jeu à cette image – et parfois – change l’image pour améliorer le résultat musical. J’essaye de rentrer dans cette boucle de réalisation. Je fais donc plusieurs répétitions de l’idée, jusqu’à ce que je m’approche à l’image mentale.
Klaviersammlung, une pièce que vous allez entendre ce soir, est basée sur des sons d’une collection de pianos au département de musicologie à l’université de Cologne. Ils sont tous dans un état déplorable. J’en ai enregistré cinq instruments, surtout jouant à l’intérieur, parfois en utilisant des verres sur les cordes.
Ce piano est intéressant parce que la partie de la corde entre la cheville et le chevalet est très longue, comparé avec un piano moderne où elle est courte et très tendue. Ici, cette partie de la corde résonne beaucoup, mais avec un accord complètement différent.
Cette vidéo montre une de ces prises de son:
Les quatre sons suivants démontrent quelques approches de mes séquences de jeu. Ce sont des prises originales, sans aucun traitement.
gratter circulaire:
structure rythmique:
densification: cliquetis d’un corde grave:
La séquence suivante est devenue le thème de la composition. C’est un glissando et à chaque répétition durant l’enregistrement j’ai fait des variations sur les hauteurs des dernières notes.
L’idée de la variation m’est très chère. Un des avantages de la manière d’enregistrer mes séquences jeu c’est que j’obtiens naturellement beaucoup de variations de la même idée musicale. Si je veux répéter la même structure sonore dans la pièce, je choisis un autre enregistrement, au lieu de réutiliser le même échantillon. Parfois je les utilise carrément comme des évolutions temporelles. Parfois je les mélange pour obtenir des textures complexes, ou toutes les composantes suivent le même parcours.
Autres formes d’art
Je passe maintenant à quelques exemples dans d’autres formes d’art, dans lesquelles j’ai pu explorer le rapport avec la technologie. Ils ne sont pas isolés de ma pratique musicale, car tout est interconnecté. Je vois les travaux dans différentes formes jusque comme des matérialisations distinctes de la même sensibilité artistique.
Vous voyez ici une peinture d’huile sur verre que j’ai fait en 1984. En mettant une forte source lumineuse derrière, j’obtiens des images avec grands contrastes.
Par la suite, j’ai construit un système de quatre projecteurs de diapositives qui se superposent avec des réglettes d’intensité. Dans le va-et-vient des images, cela créait un espace abstrait en lente modulation projeté sur un danseur sur scène.
Nous avons joué la pièce Klang-Farbe-Bewegung pour danse, ensemble et projection souvent en Europe. La structure est basée sur des scènes et histoires avec une certaine liberté d’improvisation pour les transitions des diapositives, des mouvements et de la musique.
En 2009 j’ai créé une nouvelle version, où la projection est maintenant réalisée avec six vidéos.
Polyvision, pour danse, vidéo et ensemble, (2009)
danse – Hans Georg Lenhart
Ensemble für Intuitive Musik Weimar
trompète – Daniel Hoffmann
violoncelle – Matthias von Hintzenstern
piano – Michael von Hintzenstern
électronique – Hans Tutschku
Durant une répétition, j’ai commencé à prendre des photographies du danseur dans la projection. Le résultat était un nouveau mode expressif avec le temps figé. Ces photos sont devenues objets de communication avec le public.
En 2007 je les ai transformés en installations sonores interactives, ou les photos elles-mêmes deviennent des haut-parleurs en collant des transducteurs derrière et avec des microphones intégrés dans chaque installation.
Le spectateur est invité à parler, chanter, etc., et entendra sa voix transformée et mélangée avec des sons pré composés. Il y a en tout huit de ces objets, chacun proposant un autre rapport entre l’action vocale et le résultat sonore. En opposition des pièces de concert je cherchais des expériences personnalisées pour chaque spectateur.
En 2013, j’ai réalisé une nouvelle série de photos avec des étudiants de danse à Harvard.
Il n’y a aucun traitement numérique ‘à la Photoshop’, toutes les images sont simplement la projection de mes peintures sur les corps.
Pour l’exposition The other side, les photos étaient groupées dans des installations spatiales et combinées avec deux sculptures sonores interactives.