Critique de concert
[…] on se rassoit au même endroit le lendemain pour faire la découverte de Hans Tutschku. On connait un peu sa musique au disque; en acousmatique, un disque est un bien faible ersatz de la réalité. Ce que le concert a prouvé à l’envi!
Quiconque a des réticences (voire des allergies) à ce genre de musique si nécessaire au siècle et si brûlante de vision actuelle, porteuse d’avenir et d’intégrité engagée dans un présent visionnaire, doit absolument aller entendre Tutschku en salle.
On découvre ici une autre manière de penser et de faire l’acousmatique. Tutschku commence par créer une enveloppe spatiale, non pas comme épiphénomène cinétique du son qui tourbillonne dans l’habitacle de la salle, plus comme une scène multidimensionnelle qu’il aspire à habiter. La perspective parle, le silence est éloquent, le geste et la composition se découvrent omnipotents de sens.
Rapidement, on reconnaît qu’on est en présence du Haydn de l’électroacoustique. Chacune des cinq œuvres entendues est en effet aussi musicale, onginale, sentie, expressive qu’un quatuor à cordes de Haydn.
La conception de l’espace, chez Tutschku, n’est pas issue de vues trigonométriques. Nous nous retrouvons dans un environnement sonore utérin, matriciel, fécond de toutes les ouvertures nourricières d’une imagination aussi unique que fertile. Séduisant? Sûrement, et qui force une foudroyante concentration sur la musique, une musique qui ne parle que d’elle-même malgré certaines avancées politiques (comme dans … Erinnerung… ), qui veut d’abord et avant tout être art pour porter plus haut et noblement son message, que son temps d’existence redessine.
Le temps, cette donnée si fondamentale, tant physique que psychologique, I’art de Tutschku ne se contente pas de l’habiter ou de l’inventer: il le crée, le recrée, le nourrit et le modèle. Comme chez son classique ancêtre (oui, toujours, le parallèle avec Haydn s’impose comme incontournable), on ne trouve aucun déchet.
Rien au hasard
Peu importe l’œuvre, rien n’est laissé au hasard. Un son s’annonce en arrière-plan, disparait puis revient à l’avant-scène, une idée semble ornementale avant que d’être reprise comme fondement d’une section suivante de la pièce entendue.
La musique s’épanouit, s’engouffre en entonnoir et ressort on ne sait trop d’où, avec un naturel nécessaire bouleversant. Tout semble simple, ce qui permet d’arriver avec celerite intuitive à la profondeur. Tutschku pratique une sorte de valse étudiée, dansant entre les différents niveaux de perspective, à l’intérieur d’un plan comme dans la globalité du volume, passant de la narrativité à la Durchfürung dont il est probablement le plus grand maître depuis Berg et Stockhausen, à sa manière propre, sans citer ni user de méthode ou de parti pris esthétique scolaire.
Chacune des pièces s’entend en fait comme une sorte de forme sonate, sans exposition ni reprise. Discrètement, Tutschku nous mène au cœur de la musique, sa musique. La respiration de cet art se fait nôtre. Vocabulaire, syntaxe et grammaire, tout est transcendé. Que l’origine du matériau soit synthètique ou concrète (sons enregistrés comme la voix parlée, les gamelans ou autres objets sonores), le solfège rêvé et défini par Schaeffer aboutit ici, comme chez Jonty Harrisson ou Parmerud, dans cette zone sidérante et satisfaisante de la pure vérité.
Quoi? Que des chefs-d’œuvre? Oui! Absolument! Le plus beau est de reconnaitre un style qui convainc par sa seule grandeur, d’apprivoiser une griffe sans qu’aucun maniérisme ne se montre le museau. Le génie — ici je n’ai pas peur de l’expression ni ne galvaude le mot — ne s’impose; pas: il entraîne, irrésistiblement. La musique de Tutschku est habitante, à la fois maelström et vortex, explosion de supernova et calme de mer étale, à l’image de l’interprétabon qu’il en diffuse en salle, sublime d’intelligence et de poésie. Tellernent pris, on ne sait que discrètement applaudir. On attend le retour avec d’autant plus d’attente.