Du 4 décembre 2012 au 29 mai 2013,
tous les jours à 11h02, 13h02 et 17h02.
Spécialement conçue pour le toit du Carpenter Center for the Visual Arts à l'occasion du 50ᵉ anniversaire du bâtiment, Unreal Memories est une composition faite de voix transformées issues de nombreuses cultures. Des enregistrements originaux ont servi de modèles pour des transformations informatiques, créant un voyage interculturel imaginaire où des voix venues d’ailleurs se rejoignent. Elles nous interpellent, elles célèbrent, et elles ouvrent, l’espace d’un instant, une fenêtre sonore sur nos vies quotidiennes trépidantes.
Dans une note datée du 2 février 1960, Le Corbusier imaginait pour ce bâtiment :
"Des sons électriques et rythmés seront composés et diffusés une, deux, trois fois par jour, à des heures fixes, dans une émission d'une nature à la fois douce et puissante."
En lisant ces mots, j’ai imaginé que l’ajout d’éléments sonores au bâtiment pourrait renforcer notre conscience du temps qui passe et de notre lien avec d’autres cultures. Mon intention n’était pas de réaliser fidèlement la vision historique exacte de Le Corbusier, mais plutôt d’utiliser cette idée comme point de départ pour mes propres rêves artistiques.
Avec le chantier du Harvard Art Museum juste à côté, je ne voulais pas reprendre l’idée d’une « puissance formidable » en opposition au bruit des marteaux-piqueurs. J’espérais plutôt que la douceur des voix puisse, durant trois brefs instants chaque jour, transformer le lieu en un espace d’harmonie imaginée.
Unreal Memories de Hans Tutschku
Une installation sonore en extérieur pour le Carpenter Center for the Visual Arts, Harvard University, Cambridge, MA, jusqu’au 9 mai 2013. (Trois diffusions quotidiennes)
Par Margaret Weigel
L’artiste sonore Hans Tutschku utilise des fragments sonores diffusés brièvement à différents moments de la journée pour surprendre les auditeurs, les arracher à la monotonie de leur quotidien et fissurer la carapace de nos vies modernes, souvent frénétiques et prosaïques.
L’art qui se glisse discrètement dans un lieu et surprend le public par une expérience inattendue et émouvante peut être l’une des formes les plus subtiles et élevées de l’art guérilla. C’est précisément ce que réalise l’installation sonore de Hans Tutschku au Carpenter Center : un mélange de voix et d’influences culturelles qui transporte l’auditeur bien au-delà de la cacophonie urbaine habituelle.
L’art public est un défi constant pour les artistes visuels, qui doivent non seulement faire face à des contraintes techniques, mais aussi aux caprices de la météo, du climat, des vandales et des interventions parfois trop enthousiastes du public (enfants, animaux, etc.). Ceux qui s’attaquent aux installations sonores en extérieur doivent gérer ces mêmes défis, en plus d’une contrainte unique : leur œuvre est invisible. (Dites ce que vous voulez de la fresque des Os Gemeos sur la Rose F. Kennedy Greenway, mais elle, au moins, ne passe pas inaperçue.) Une installation sonore réussie dans l’espace public doit donc parvenir à être assez intime pour captiver l’auditeur, tout en étant suffisamment puissante pour percer le bruit ambiant de la ville. Les meilleures œuvres sont souvent furtives – ou, pour employer un terme plus poli, inattendues – surgissant brièvement au-dessus du vacarme quotidien, comme une aria au milieu des grondements de diesel et des conversations entremêlées.
Hans Tutschku, professeur de composition et directeur des studios d’électroacoustique à Harvard depuis 2004, est un habitué des installations sonores dans l’espace public. Une de ses œuvres, The Invisible Bell Tower (2004), résonnait depuis le clocher de Cabot House, une résidence de Harvard, et a également été diffusée dans plusieurs villes européennes.
Les thèmes du déplacement, de la mémoire, de la culture et de la transformation, déjà présents dans The Invisible Bell Tower, sont au cœur de Unreal Memories, une œuvre conçue pour le 50ᵉ anniversaire du Carpenter Center.
L’architecte du bâtiment, le célèbre Le Corbusier, avait imaginé que le Centre émette des "sons électriques et rythmés" à des heures fixes, des "émissions d’une nature à la fois douce et puissante". Tutschku a repris cette idée comme point de départ pour son intervention électroacoustique, mais plutôt que des émissions imposantes, il a choisi un chœur de voix, dont la douceur, selon lui, pourrait transformer le site en un espace d’harmonie imaginée – une prouesse d’autant plus audacieuse que le Carpenter Center était alors entouré par le bruit du chantier du Harvard Art Museum.
Avec l’aide du Studio d’électroacoustique de Harvard (HUSEAC) et de son directeur technique, Seth Torres, ainsi que du responsable des expositions en arts visuels et environnementaux, Edward Lloyd, des enceintes ont été installées dans de petites structures en bois sur le toit du Carpenter Center.
Tutschku explique ainsi son intention :
"Créer un voyage interculturel imaginaire où des voix venues d’ailleurs se rejoignent. Elles nous appellent, elles célèbrent, elles ouvrent une fenêtre sonore éphémère dans nos vies trépidantes."
L’horaire des diffusions reste délibérément secret. L’artiste et le personnel du Carpenter Center ont préféré ne pas le divulguer, afin de préserver l’élément de surprise. L’œuvre est conçue comme un moment de sérendipité, à l’image d’un coucher de soleil inattendu ou d’un horodateur affichant du temps restant. Elle est donc destinée principalement à ceux qui vivent et travaillent à proximité, plutôt qu’aux visiteurs de passage.
L’installation comprend une trentaine de séquences, associant des chants traditionnels amérindiens, moyen-orientaux, européens et asiatiques, transformés numériquement. Certaines parties ont été composées et enregistrées spécialement pour l’œuvre, avec une soprano enregistrée au HUSEAC. Certaines séquences sont remplacées au fil du temps, assurant une évolution constante du contenu diffusé.
J’ai assisté à la première diffusion de Unreal Memories en décembre 2012. Ne sachant pas que les diffusions étaient aléatoires, mon accompagnateur et moi avons arpenté les escaliers en béton du Carpenter Center, essayant d’entendre autre chose que le brouhaha de fin de semestre du département d’arts visuels. À un moment donné, nous nous sommes retrouvés sur le toit, face à l’un des hauts-parleurs muets dans sa petite cabane en bois. Nous avons décidé d’attendre un peu, sur un palier du Sert Gallery, où était exposée une autre œuvre interactive de Tutschku, Hommage à Schwitters.
La nuit tombait lentement lorsqu’enfin, nous l’avons entendue : une mélodie vocale qui évoquait, à mon oreille, les traditions sépharades et moyen-orientales, mêlées à d’autres influences occidentales. Ce chant, flottant au-dessus du Carpenter Center, semblait nous appeler loin du bruit des studios, vers une langue sonore à la fois sacrée et ludique.
Tutschku m’a confié qu’il n’y avait aucun lien intentionnel entre son œuvre et les fêtes de fin d’année. Pourtant, les voix enregistrées semblaient sanctifier l’instant, comme pour dire :
"Ce moment est unique… comme tous les autres. Vous ne le remarquez que maintenant, parce que nous avons chanté pour vous le révéler."